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Droit au déréférencement : de nouvelles précisions du Conseil d’Etat

05 mai 2023 | Derriennic associés|

Par un arrêt du 20 avril dernier, le Conseil d’Etat, appliquant un récent arrêt de la CJUE, donne des éclairages sur les critères à prendre en compte cas de demande de déréférencement de liens renvoyant à des articles de presse relatant des condamnations pénales.

Pour rappel, le droit au déréférencement consiste pour une personne physique à obtenir de l’exploitant d’un moteur de recherche la suppression de liens/résultats associés à ses nom et prénom. 

En l’espèce, une personne physique avaitété condamnée pénalement, en première instance, notamment pour escroquerie, banqueroute, faux et usage de faux à 3 ans d’emprisonnement et à une interdiction de gérer une entreprise pendant 15 ans. Un journal avait publié un article concernant l’affaire sur son site internet, ledit article étant accessible via une recherche par le nom et prénom de la personne concernée sur le moteur de recherche Google (l’ « Article »).

En appel, les peines avaient été réduites (2 ans d’emprisonnement et 10 ans d’interdiction de gérer une entreprise), mais aucun article n’avait été publié sur le sujet. Google ayant refusé de déréférencer l’Article à la demande de la personne concernée, cette dernière a porté plainte auprès de la CNIL, qui n’y a pas donné une suite favorable. C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a été saisie d’une demande d’annulation de la décision de la CNIL pour excès de pouvoir.

Dans sa décision, la Haute juridiction administrative a rappelé la position de la CJUE dans son arrêt du 24 septembre 2019 (affaire C-136/17), selon laquelle lorsque des liens accessibles depuis un moteur de recherche mènent vers des pages internet contenant des données personnelles relatives à des procédures pénales, l’ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles de la personne concernée est susceptible d’être particulièrement grave en raison de la sensibilité de ces données.

En conséquence, pour le Conseil d’Etat, la CNIL doit, « en principe », faire droit à une demande de mise en demeure du moteur de recherche concerné de déréférencer des liens vers des pages internet de site tiers (en l’occurrence, celui d’un journal) contenant ce type de données sensibles.

Le Conseil d’Etat a toutefois relevé une limite à cette règle de principe fondée sur le droit à la liberté d’information : si l’accès à l’information contenue sur ses pages internet, via une recherche à partir du nom de la personne concernée, « est strictement nécessaire à l’information du public », alors une telle demande de déréférencement n’a pas lieu d’être.

Pour pouvoir déterminer si une telle exception est applicable, la CNIL doit tenir compte de différents critères : (i) la nature des données en cause, leur contenu, leur caractère plus ou moins objectif, leur exactitude, leur source, les conditions et la date de leur mise en ligne et les répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée, (ii) la notoriété de cette personne, son rôle dans la vie publique et sa fonction dans la société, (iii) et également la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clés ne mentionnant pas le nom de la personne concernée.

Faisant application de ces critères, la Haute juridiction administrative a retenu que :

  • L’Article, qui « se rapporte à des faits antérieurs à 2014 », se borne à relater de façon générale la procédure concernant la personne concernée sans analyse ou commentaires « de nature à nourrir un débat d’intérêt public » ;
  • La personne concernée, « âgé[e] de 68 ans », « ne jouit pas d’une notoriété particulière », l’affaire n’ayant pas fait l’objet « d’autres commentaires publics », la décision d’appel n’a pas fait non plus l’objet d’ « un article de presse référencé par le même moteur de recherche à partir de son nom » ;
  • L’Article « n’est pas accessible en ligne à partir d’autres informations que le nom [de la personne concernée] » ;
  • L’Article ne reflète pas « la situation judiciaire actuelle de [la personne concernée] », compte tenu de la réduction de peine en appel.

En conséquence, selon le Conseil d’Etat « eu égard aux répercussions que le référencement de cet article est susceptible d’avoir sur la situation personnelle de [la personne concernée], l’accès à ce contenu en ligne à partir du nom de [cette dernière] ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme strictement nécessaire à l’information du public ». Il a donc jugé que la personne concernée est fondée à demander l’annulation de la décision de la CNIL et a enjoint celle-ci d’adresser une mise en demeure de déréférencement à GOOGLE.

Cette nouvelle jurisprudence permet de disposer d’éclairages précieux sur les critères dont doit tenir compte la CNIL, lorsqu’elle est amenée à se prononcer sur une demande de déréférencement de liens hypertextes renvoyant vers des pages de site internet de tiers, contenant des données personnelles relatives à des affaires pénales.

Source : ici