Dans cet arrêt du 16 novembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rompt avec sa jurisprudence antérieure : désormais, seule la faute grave connue peut justifier la privation du droit à préavis et indemnité, et ce à condition qu’elle soit visée dans la notification de rupture.
En l’espèce, une société exerçait, depuis 2008, l’activité d’agent commercial pour un mandant qui avait manifestement toléré la représentation de produits concurrents. En 2013, les parties signent un contrat d’agence commerciale stipulant expressément que l’agent « ne peut accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet du présent contrat », ce qu’il a pourtant continué à faire, dans l’ignorance du mandant. En mars 2016, le mandant rompt le contrat d’agence, sans préavis ni indemnité de rupture, et sans indication du manquement invoqué dans la lettre de rupture, conduisant l’agent à agir en paiement d’indemnités de préavis et de rupture et à demander, en outre, la communication de documents comptables nécessaires à la vérification du respect de son droit à commission.
Si la juridiction commerciale avait donné gain de cause à l’agent, elle est censurée par la Cour d’appel de Versailles qui considère, notamment, que la représentation de produits concurrents (reconnue par l’agent) postérieurement à la signature du contrat constituait un manquement grave à la loyauté, privatif de préavis et d’indemnité et que le mandant pouvait se prévaloir d’un comportement grave antérieur à la rupture mais découvert postérieurement à celle-ci.
Au soutien de son pourvoi, l’agent expose notamment, sur le fondement de la jurisprudence européenne Volvo (cf. CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-203/09), que le comportement fautif de l’agent antérieur à la rupture et découvert après ne pouvait justifier la privation du droit à préavis et à indemnité.
Rompant expressément avec sa jurisprudence antérieure, la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide, au visa des articles L.134-12 et 134-13 et de la directive 86/653/CEE qu’ « il apparait nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave antérieurement à la rupture du contrat dont il n’ a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité » et censure la Cour d’appel.
Autrement dit, en premier lieu, seule la faute grave connue peut justifier la privation du droit à préavis et à indemnité.
Il s’agit là d’un revirement de l’interprétation de l’article L. 134-12 du Code de commerce qui prive l’agent de droit à préavis et à indemnité de rupture lorsque la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave.
En effet, jusqu’ici, la faute grave découverte après la rupture mais commise avant pouvait être invoquée par le mandant pour échapper à ces demandes (En ce sens : Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.1155 ; 24 novembre 2015, n° 14-17.747 ; 14 février 2018, n° 16-26.037 ; Cour d’appel de Chambéry, 24 septembre 2019, R.G. n° 10/2019 ; Metz, 18 juin 2020, R.G. n° 07-08/2020).
Un tel revirement prend racine dans la directive du 18 décembre 1986 telle qu’interprétée par la CJUE qui prohibe toute interprétation de la directive au détriment de l’agent commercial (cf. CJUE, 19 avril 2018, CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, aff. C-645/16) et considère que l’article 18, privatif de droit pour l’agent en cas de rupture « pour » un comportement justifiant une rupture sans délai (la faute grave du droit français) doit être interprétée strictement et ne peut permettre d’ajouter une cause de déchéance de l’indemnité non prévue par le texte (cf. CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-203/09).
Ensuite et en second lieu, la faute grave connue ne peut justifier la privation du droit à préavis et à indemnité que si elle est visée dans le courrier de rupture.
Il s’agit, là aussi, d’un revirement puisque la Cour de cassation considérait que le comportement de l’agent pouvait être invoqué par le mandant dès lors qu’il a été commis antérieurement à la rupture du contrat « peu important que, découvert postérieurement par (le mandant), il n’ait pas été mentionné dans la lettre de résiliation » (cf. Cass. com. 14 février 2018, n° 16-26.037).
Il existe donc une double incitation :
- pour l’agent commercial fautif, de rester discret afin d’échapper à tout risque de privation du préavis ou de l’indemnité de rupture ;
- pour le mandant, de rechercher, lorsqu’il veut mettre fin au contrat d’agent commercial pour faute grave de l’agent, des éléments constitutif d’une telle faute, ainsi que les preuves adéquates.
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