Dans son arrêt du 24 novembre 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne a fait preuve d’une souplesse certaine pour retenir, dans les relations « B to B », l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction figurant dans des conditions générales accessible en ligne via un lien hypertexte.
En l’espèce, deux sociétés sont liées par un contrat relatif à l’emballage et le conditionnement de produits, lequel prévoit l’application des conditions générales d’achat du client, celles-ci étant consultables et téléchargeables sur un site internet via un lien hypertexte figurant au contrat et stipulant une clause attributive de compétence au profit des juridictions anglaises.
A la suite d’un désaccord sur les modalités financières, le vendeur a saisi les juridictions belges afin obtenir le paiement de sommes impayées par son client, lequel a soulevé l’incompétence des juridictions belges au profit des juridictions anglaises sur le fondement de la clause attributive de juridiction figurant dans les conditions générales d’achat.
Un débat s’est donc ouvert sur l’opposabilité au vendeur de la clause attributive de juridiction stipulée dans les conditions générales accessibles via un lien hypertexte figurant au contrat sans toutefois y être directement annexées, ce qui a conduit la Cour de cassation belge à interroger la CJUE sur l’interprétation de l’article 23 de la convention de Lugano II concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dans ces termes :
« Est-il satisfait [à l’article précité] lorsqu’une clause attributive de juridiction est contenue dans des conditions générales auxquelles un contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permet de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site Internet ? »
Pour mémoire, la réglementation européenne relative à la compétence des juridictions et la reconnaissance des décisions en matière civile et commerciale (et notamment l’article 25 du Règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit « Bruxelles I bis » qui lie les Etats membres de l’UE, ou l’article 23 de la Convention de Lugano II qui lie ces-derniers, l’Islande, la Norvège et la Suisse) autorisent les contractants à recourir à des clauses attributives de juridiction.
L’exigence d’un consentement clair et précis des contractants à ces clauses est toutefois mise à l’épreuve par l’évolution des techniques de communication et notamment par le renvoi via des liens hypertexte.
La CJUE répond par la positive et précisément:
- rappelle que lorsqu’elles ne sont pas directement annexées au contrat, les conditions générales comportant la clause attributive de compétence doivent être visées par un renvoi exprès, lequel doit pouvoir être contrôlé par une personne appliquant une diligence normale, et doivent avoir été effectivement communiquées par la partie invoquant la clause à l’autre partie (cf. CJUE, 7 juillet 2016, aff. 222/15) ;
- expose que la preuve de cette communication peut résulter de la mention du lien hypertexte d’un site internet dont l’accès permet de prendre connaissance de ces conditions générales à condition que ce lien fonctionne et puisse être actionné par une partie appliquant une diligence normale et que soit offerte la possibilité de consigner durablement la clause attributive de juridiction, indépendamment de la question de savoir si le texte des conditions générales a effectivement été consigné durablement par l’autre partie après ou avant d’avoir coché une case d’acceptation (cf. CJUE, 21 mai 2015, aff. 322/14) ;
- juge indifférente la circonstance qu’il n’existe, sur la page du site internet en cause, aucune case susceptible d’être cochée aux fins d’exprimer l’acceptation de ces conditions générales (comme en l’espèce) ou que la page contenant ces conditions ne s’ouvre pas automatiquement lors de l’accès au site ne remet pas en cause ce principe (cf. CJUE, 21 mai 2015, aff. 322/14), dès lors que l’accès aux conditions générales est possible avant la signature du contrat et que l’acceptation de ces conditions intervient moyennant cette signature.
Il en résulte qu’une clause attributive de juridiction est valablement conclue lorsqu’elle est stipulée par des conditions générales auxquelles le contrat renvoie via un lien hypertexte exprès, quand bien même le site internet n’invite pas formellement à accepter ces conditions générales par le biais d’un bouton spécifique.
Lien vers la décision ici.