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Le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire peut remplacer celui de l’entreprise utilisatrice pour désigner un expert en cas de risque grave

23 septembre 2020 | Derriennic Associés |

Cass. Soc., 26 févr. 2020, n°18-22.556 

Lorsque le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, sans que cette dernière ou son CHSCT ne prenne de mesures, il peut lui-même, au titre de l’exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d’étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d’y remédier.

Les faits :

Par délibération du 16 avril 2018, le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire (appelée « ETT ») votait le recours à une expertise relative au risque grave qu’il estimait encouru par les salariés intérimaires mis à disposition au sein d’une entreprise utilisatrice.

L’ETT contestait cette délibération devant le Président du TGI de NANTERRE qui, par ordonnance du 1er août 2018, annulait ladite délibération au motif que les travailleurs temporaires avaient vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice, excluant la compétence du CHSCT de l’ETT.

Le CHSCT formait un pourvoi en cassation.

C’est ainsi que, par arrêt du 26 février 2020, la Chambre sociale près de la Cour de cassation estime que le Président du TGI de NANTERRE a violé des dispositions légales, constitutionnelles et européennes et invite les juges du fond à vérifier :

  • La réalité du risque grave et actuel pour les travailleurs temporaires,
  • Les mesures prises, par l’entreprise utilisatrice ainsi que son instance représentative du personnel compétente, permettant de préserver la santé et la sécurité des travailleurs temporaires mis à disposition.

Apport de l’arrêt :

Dans le cadre d’une relation d’intérim (tripartite), la santé et la sécurité au travail relève de la responsabilité de l’entreprise utilisatrice (article L. 1251-21 4° du Code du travail).

Toutefois, une problématique se pose dès lors que cette entreprise ainsi que son instance représentative du personnel n’entendent pas agir aux fins de préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs temporaires, et ce, malgré l’existence d’un risque grave et actuel.

Face à cette inaction et au regard du droit à la santé des salariés, la Cour de cassation admet désormais que l’instance représentative du personnel de l’entreprise de travail temporaire puisse agir sur le fondement du risque grave et actuel, et ce, par la désignation d’un expert agréé (article L. 4614-12 du Code du travail).

La Cour de cassation impose à l’entreprise utilisatrice ou son instance représentative du personnel, un devoir de vigilance, qui, s’il n’est pas respecté, devrait permettre alors à l’instance représentative de l’ETT d’agir.

La mise en cause de l’entreprise utilisatrice va désormais s’imposer dès lors que le juge devra vérifier, au-delà de l’existence ou non d’un risque grave et actuel pour les travailleurs temporaires, si cette dernière, ou son instance représentative du personnel, a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs.

Cette solution inédite appelle toutefois plusieurs remarques. D’emblée, elle semble mettre à mal la position de l’instance légitimement en place pour apprécier le risque. En effet, c’est d’abord le CHSCT de l’entreprise utilisatrice qui dispose du droit d’expertise, ce qui implique qu’il peut ne pas souhaiter mobiliser ce droit, ce qui relève de sa seule appréciation. En relayant, dans cette hypothèse, ce droit à un autre CHSCT, la Cour de cassation remet en cause la légitime appréciation du premier. Par ailleurs, il est communément admis en jurisprudence que l’expertise pour risque grave suppose un risque actuel et avéré. Au cas d’espèce, la mission confiée à l’expert consiste à « étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d’y remédier ». Or, étudier la réalité de ce risque, n’est-ce pas admettre qu’il n’y a pas de certitude sur l’existence du risque alléguée ? Nul doute que, s’agissant d’une décision exceptionnelle, celle-ci devra être appréciée strictement et ne pas se répandre, pour ne pas brouiller les frontières existant entre les différentes personnes morales.