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Le délai pour contester son licenciement ne court pas dès lors que le salarié, gravement malade, est empêché d’agir

22 février 2023 | Derriennic Associés|

Cass. Soc. 25 janv. 2023, n°21-17.791

Quel sort réserver à l’action du salarié intentée plus de deux ans après son licenciement au motif que ses problèmes de santé l’empêchaient de pouvoir agir auparavant ? Dans un arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation juge, de manière surprenante, que l’action du salarié introduite, dans ces conditions, plus de deux ans après son licenciement n’est pas prescrite.

Au cas d’espèce, une salariée engagée comme attachée commerciale au mois d’avril 2014 est licenciée pour cause réelle et sérieuse au mois de novembre 2015. Estimant celui-ci infondé, elle saisit la juridiction prud’homale le 2 février 2018, soit plus de 2 ans après la rupture de son contrat de travail. L’employeur invoque d’emblée la prescription de son action qui, pour rappel, doit être introduite dans le délai de 2 ans (aujourd’hui un an depuis les Ordonnances dites « Macron ») suivant la notification de la rupture (C. Trav., art. L.1471-1). Le Conseil de prud’hommes juge l’action irrecevable car prescrite. La salariée interjette alors appel. La Cour d’appel de Nancy infirme le jugement. Pour ce faire, elle relève que la salariée s’était trouvée « entre 2016 et 2018, dans l’incapacité totale de gérer ses démarches administratives, étant victime de phobie administrative suite à son burn-out de juillet 2015 et d’attaques de panique avec une aggravation de son état en février 2016 » ce qui était justifié par « des certificats médicaux de son médecin psychiatre ». La Cour d’appel déduit de ces éléments médicaux que son état de santé, constitutif d’une force majeure, l’a empêchée d’engager toute procédure, suspendant la prescription de l’action en contestation de son licenciement. L’employeur se pourvoit alors en cassation. Il fait valoir, notamment, qu’en se fondant sur les seuls certificats médicaux établis par le psychiatre de la salariée pour les besoins de la cause, la cour d’appel a statué par des motifs insuffisants à caractériser un cas de force majeure. La question posée est donc claire : l’état de santé du salarié peut-il caractériser un cas de force majeure suspendant les délais de prescription ? La Cour de cassation répond par l’affirmative.

Au visa de l’article 2234 du code civil, la Cour de cassation juge que l’état de santé du salarié peut caractériser un cas de force majeure l’empêchant d’agir et suspendant, de ce fait, le cours de la prescription. L’article précité dispose en effet que « la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Il faut donc en principe que le justiciable démontre un empêchement légal, contractuel ou résultant d’un cas de force majeure. Or, traditionnellement, les juges apprécient très sévèrement la force majeure. Pierre philosophale du monde juridique, il est bien souvent rare de voir un juge reconnaître à l’évènement litigieux les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité qui composent la force majeure.

Deux griefs peuvent être formulés à l’encontre de cette décision. D’une part et alors qu’il s’agit en principe d’une situation exceptionnelle, on ne peut que regretter la facilité par laquelle les juges caractérisent ici la force majeure. Sans vérifier ni même évoquer que les problèmes de santé en cause étaient irrésistibles et/ou imprévisibles, la Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, jugent d’emblée que l’état de santé de la salariée, certes attesté par des certificats, caractérise la force majeure. Aucune référence n’est donc faite aux traditionnels critères de la force majeure. Est-ce volontaire ? Le caractère irrésistible aurait-il…résisté à l’analyse ? En l’espère, l’employeur soutenait que la salariée avait pourtant, postérieurement à son licenciement, accompli des démarches pour faire reconnaître l’existence d’un accident du travail, pour contester la décision de refus de prise en charge de la CPAM et pour adresser à l’entreprise un courrier circonstancié pour contester la date d’effet de son licenciement. Celle-ci n’était donc pas « paralysée » par toute démarche administrative ; du moins pas au sens civiliste de l’évènement irrésistible. Il faut donc reconnaître, en l’espèce, une certaine forme de souplesse ou d’allègement dans la preuve de la force majeure, à l’endroit des problèmes de santé d’un salarié.

D’autre part, l’arrêt a encore pour conséquence d’entraîner une évidente insécurité juridique. A une époque où le nombre de maladies psychologiques en lien avec le travail explose considérablement (cf. article de fond de notre dernière newsletter protection sociale), le juge doit-il se satisfaire, pour rejeter toute prescription, de certificats médicaux produits par le psychiatre du salarié ? Ce même cas de force majeure aurait-il également vocation à anéantir, de facto, la prescription attachée à toute action en reconnaissance d’une maladie professionnelle qui, pour rappel, est en principe enfermée dans le délai de deux ans ? Par définition, le salarié aura, dans cette matière, d’autant plus de problèmes de santé pouvant l’empêcher d’agir.

Cet arrêt, qui ne manque donc pas d’interpeller, ravive le souhait du poète : « Ô temps, suspends ton vol ! »