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Première application judiciaire de l’imprévision en présence d’une hausse des coûts liée au Covid-19 et au conflit russo-ukrainien

19 janvier 2023 | Derriennic associés|

Dans un Jugement du 14 décembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris prononce la résiliation d’un contrat de fourniture dont l’exécution est devenue excessivement onéreuse pour le fournisseur en raison de la hausse du coût de ses prestations résultant de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 et du conflit russo-ukrainien.

Précisément, selon un contrat de « référencement » conclu le 1er octobre 2020 et courant jusqu’au 31 décembre 2022, une société, qui dispose de la faculté unilatérale de prolonger le contrat d’un an, s’engage à commercialiser auprès de ses clients, aux conditions prévues par le contrat, des carreaux de céramiques fournis par son cocontractant, qui les acquiert auprès de sa société mère espagnole.

A la fin du premier semestre 2022, le fournisseur a souhaité renégocier à la hausse les prix de vente des produits, afin de répercuter l’augmentation significative des coûts de l’énergie, des matières premières et du transport résultant de la pandémie de Covid-19 et du conflit russo-ukrainien.

Faute d’accord, et ce malgré plusieurs réunions de négociation, le fournisseur a saisi la juridiction consulaire d’une demande tendant, sur le fondement de l’imprévision, à l’augmentation des prix contractuels des produits ou, subsidiairement, à la résolution du contrat.

Si le Tribunal a jugé que les conditions de l’article 1195 du Code civil étaient réunies, il a écarté la demande de révision du prix contractuel des produits, faute pour le fournisseur d’avoir produit « les éléments nécessaires pour mesurer le bien-fondé des modifications du tarif présentées », et prononcé la résiliation du contrat à effet du 31 décembre 2022.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision, à commencer par l’appréhension large et globale de l’imprévisibilité, qui ne s’apprécie pas uniquement à l’aune de l’évènement perturbateur (la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19) mais également en tenant compte de ses conséquences.

En effet, si la crise sanitaire et ses incidences sur les cours de l’énergie, des matières premières et du transport n’étaient plus imprévisibles lors de la conclusion du contrat, l’ampleur extraordinaire et exceptionnelle des hausses subies en cours d’exécution du contrat l’était (en l’espèce, +381% sur l’électricité, +316% sur le gaz et +192% sur le bois), le Tribunal relevant ainsi que « les hausses considérables enregistrées sur les cours de l’énergie n’ont démarré que durant la 2ème partie de l’année 2021, pour s’amplifier encore à compter de février 2022, date du démarrage du conflit russo-ukrainien. (…) » de sorte que « même si le coût de l’énergie, pour l’essentiel, connaissait des fluctuations, aucune des parties n’était alors en mesure de prendre en considération la hausse exceptionnelle intervenue un an plus tard ».

A noter également qu’au cas d’espèce, le Tribunal admet comme justification par le fournisseur du caractère excessivement onéreux de l’exécution de ses prestations les factures d’achat des produits auprès de la société mère espagnole, desquelles il ressort que celle-ci a répercuté sur sa filiale les hausses des coûts de l’énergie, des matières premières et du transport.

Il convient ensuite de souligner que, s’agissant des sanctions de l’imprévision, la révision judiciaire des prix contractuels est subordonnée à la démonstration et la justification par le demandeur du prix révisé souhaité, le Tribunal exigeant que soient produits « les éléments nécessaires pour mesurer le bien-fondé des modifications du tarifs proposés ».

Autrement dit, le demandeur ne peut se contenter de solliciter la révision du contrat en laissant le soin au juge de déterminer seul la révision la plus adaptée et doit exposer précisément et justifier le contenu de la révision sollicitée.

Relevons pour finir qu’une hiérarchie des sanctions de l’imprévision semble se dessiner, indépendamment des priorités formulées par le demandeur : la résiliation du contrat, même sollicitée à titre subsidiaire, sera préférée à sa révision lorsque le juge ne disposera pas d’éléments suffisants pour procéder à une révision.


Une telle décision devrait inciter les parties qui n’ont pas exclu ou adapté le mécanisme de l’article 1195 du Code civil à s’engager avec sérieux dans une renégociation effective, sous peine de se voire appliquer, en cas de procédure judiciaire, une résiliation qu’elle n’avait pas souhaitée…

Lien vers la décision ici.