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Traitement de l’orientation sexuelle des candidats aux dons du sang : la France condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme

16 septembre 2022 | Derriennic Associés|

La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans le cadre de la collecte et du traitement de données révélant l’orientation sexuelle des candidats aux dons du sang.

La Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») a rendu, le 8 septembre 2022, une décision dans laquelle elle a eu à déterminer si la collecte et le traitement de l’orientation sexuelle des candidats aux dons du sang était compatible avec l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, qui a pour objet de préserver la vie privée des individus et les prémunir contre les ingérences des autorités publiques.

En 2004, un homme a souhaité réaliser un don du sang auprès de l’établissement français du sang (« EFS »), établissement public de l’Etat. Au cours de l’entretien préalable au don, il a refusé de répondre à la question consistant à savoir s’il avait déjà eu des rapports sexuels avec un autre homme.

Ce silence a entrainé le rejet de sa candidature et l’inscription, dans son dossier, de la mention « FR08 », signifiant qu’il avait déjà eu des rapports sexuels avec un autre homme, ce qui constituait, à l’époque, une contre-indication au don du sang.

En 2006, le même individu s’est présenté pour réaliser de nouveau un don du sang et il lui a été opposé, en tant que motif du refus de sa candidature, ladite contre-indication. Précision lui a été donnée que l’interdiction de don le frappant demeurerait valable jusqu’en 2278.

En 2016, au cours d’une troisième tentative de don, l’individu a produit des analyses biologiques attestant de sa séronégativité. Il lui a néanmoins été opposé un nouveau refus, sur les mêmes fondements que les précédentes fois.

L’individu a porté plainte avec constitution de partie civile, arguant d’une violation de l’article 226-19 du Code pénal prohibant la conservation de données à caractère personnel relative à la santé ou à l’orientation sexuelle.

La plainte a abouti sur un non-lieu, la chambre de l’instruction ayant estimé que le législateur, par l’adoption d’un arrêté et d’un article du Code de la santé publique prévoyant la classification des contre-indications au don du sang, avait entendu créer une dérogation à l’interdiction de l’article 226-19 du Code pénal.

La Cour de cassation, saisie à l’issue de la décision de non-lieu, a rejeté le pourvoi de l’individu, estimant, pour sa part, que le traitement en cause était couvert par les dispositions de la Loi du 6 janvier 1978 autorisant un tel traitement, lorsqu’il est réalisé par des professionnels de santé à des fins médicales.

L’individu, ayant saisie la CEDH, a argué d’une ingérence des autorités publiques contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison :

  • du caractère discriminatoire de l’exclusion permanente du don du sang des homosexuels ;
  • du caractère sensible de ses données personnelles ;
  • de la collecte sur le seul fondement de son refus de répondre à des questions portant sur sa sexualité ;
  • de l’absence de possibilité d’effacer ou de rectifier ses données.

Le gouvernement français a, pour sa part :

  • admis qu’il y avait eu une ingérence, mais que celle-ci était prévisible compte tenu des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 et de l’article 226-19 Code pénal ;
  • avancé que le mécanisme de contre-indication au don était clair et impliquait que l’EFS se dote d’un système de traitement de l’information permettant sa mise en œuvre ;
  • argué que le traitement en cause était nécessaire à la protection de la santé publique.

La CEDH a rappelé que les ingérences dans la vie privée doivent être prévues par la loi et être nécessaires et proportionnée au but légitime poursuivi, ainsi que reposer sur des motifs « pertinents et suffisants ».

S’agissant du caractère nécessaire de l’ingérence constituée par le traitement en cause, la CEDH a indiqué que la collecte et la conservation des données à caractère personnel relatives aux résultats de procédure de sélection des candidats au don du sang contribuent à garantir la sécurité transfusionnelle. Cependant, pour la CEDH, le requérant s’est vu appliquer une contre-indication propre aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme, au seul motif de son refus de réponse à la question concernant sa sexualité, alors qu’« aucun des éléments soumis à l’appréciation du médecin ne lui permettait de tirer une telle conclusion sur ses pratiques sexuelles ».

La CEDH a rappelé qu’il incombe aux autorités de démontrer l’exactitude des données à caractère personnel collectées. Elle relève, également, que les données à caractère personnel n’ont pas été mises à jour suite aux protestations et à la plainte du requérant.

De plus, la CEDH a considéré que le simple refus de répondre à la question aurait pu être conservé, celui-ci motivant à lui seul un refus de la candidature au don du sang.

La CEDH a relevé, enfin, que la durée de conservation était excessive (274 ans annoncés, au moins 12 ans en pratique).

Il y a donc bien eu violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, ce qui a conduit la CEDH à condamner la France au paiement de 3.000 € du requérant pour préjudice moral, ainsi que 9.000 € pour frais et dépens.

Source : ici