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La réparation de la contrefaçon de logiciel : dommages et intérêts ET désinstallation !

03 août 2020 | Derriennic Associés|

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Arrêt du 5 mars 2020, Répertoire général nº 17/15324

La reproduction non autorisée d’un logiciel, le client ayant installé, selon l’audit réalisé à la demande de l’éditeur, plus de licences qu’autorisé, constitue une contrefaçon. L’indemnisation doit être calculée sur la base du prix d’acquisition des licences et non sur le prix public qui aboutirait à une majoration sans fondement. Ces dommages et intérêts ne réparent le préjudice que s’ils sont accompagnés de mesures de désinstallation des licences illicites puisque le maintien de cette installation fait persister cette illicéité.

Un établissement public de santé acquiert à partir de 1995, puis par différentes commandes, des licences de droit d’usage pour un progiciel auprès d’un revendeur et d’une société qui sera fusionnée avec un éditeur, désormais titulaire des droits d’auteur. Ce dernier fait réaliser un audit par un prestataire externe et conclut à un défaut de licences portant sur plusieurs milliers de copies du logiciel et un préjudice qu’elle chiffre à plus de 3M€.

En 2012, l’éditeur fait assigner le client en contrefaçon devant le TGI de Marseille qui va, en 2017, condamner le client à régler une somme de 271K€ au titre de la contrefaçon de droits d’auteur, déboutant l’éditeur du surplus de ses demandes et notamment des demandes tendant à la condamnation du client à des mesures réparatrices.

Le client interjette appel soutenant en particulier que :

  • le marché permettait de commander des licences supplémentaires et le jugement ne pouvait valablement se fonder sur les conditions générales de licence aux fins d’établir la contrefaçon dès lors que celles-ci lui sont inopposables ;
  • la comptabilisation des licences ne pouvait se fonder que sur l’utilisation effective et non sur la simple installation ou copie sur un poste de travail, conduisant à un écart effectif réduit ;
  • l’audit est dénué de force probatoire eu égard à la contrefaçon alléguée : son auteur est un prestataire engagé et rémunéré par l’éditeur pour son compte. En acceptant sans contrainte qu’il procède aux vérifications de conformité, le client n’a pas entendu se soumettre intégralement et sans réserves aux chiffres et conclusions du rapport d’audit qu’il remet en cause ;
  • les prix de licences du logiciel et taux d’intérêts appliqués par l’éditeur pour le calcul de préjudice sont sans pertinence ; le prix à retenir par licence est celui effectivement appliqué dans le marché.

L’éditeur demande confirmation du jugement ayant déclaré le client coupable d’actes de contrefaçon des logiciels par dépassement du nombre des licences d’installation concédées mais il conteste le calcul de son préjudice ; il fait notamment valoir que :

  • les conditions générales de la licence sont bien opposables au client ; même en l’absence de relation contractuelle formelle entre le titulaire des droits d’auteur et le contrefaisant, le client connaissait parfaitement les limites posées ;
  • la métrique de comptabilisation des licences est l’installation du logiciel sur le poste informatique et non son utilisation ;
  • le rapport d’audit, réalisé contradictoirement, est valable et a pleinement force probante ;
  • le préjudice subi est à calculer sur la base des prix standard publics unitaires du logiciel vu la violation de ses droits de propriété intellectuelle.

L’éditeur sollicite également la condamnation du client à désinstaller sous astreinte les licences installées en fraude de ses droits.

La Cour va confirmer le jugement en ce qu’il a retenu :

  • l’opposabilité au client du contrat de licence dont sont actuellement bénéficiaires les sociétés éditrices. Bien que n’existant pas pour les logiciels litigieux de relation contractuelle entre elles, puisque le client a acquis les logiciels auprès d’autres sociétés, le client a signé une commande stipulant que le droit d’utilisation du logiciel est régi par les termes et conditions du contrat de licence, puis un accord qui précise que le logiciel est accompagné de l’accord de licence ;
  • que la reproduction non autorisée du logiciel constitue une contrefaçon ;
  • que, selon les termes du marché, la licence dépend de l’installation et non de l’utilisation effective ;
  • que l’audit réalisé avec la participation volontaire du client constitue une base de raisonnement concernant l’étendue de cette contrefaçon ;
  • le principe de calcul du préjudice : l’éditeur base sa demande d’indemnisation sur le prix des licences installées sans droit mais ce prix ne peut être que celui consenti au client et non le prix public qui aboutirait à majorer sans fondement le préjudice, d’autant que le client aurait acquis les licences litigieuses au seul prix contractuel.

La Cour infirme cependant le jugement sur le montant de l’indemnisation en retenant exactement le nombre de défauts de licences établi par le rapport, soit au total 360K€.

Enfin, selon la juridiction d’appel, les dommages et intérêts ne répareront le préjudice que s’ils sont en outre accompagnés des mesures de désinstallation des licences illicites réclamée par l’éditeur, et écartées de manière erronée par le Tribunal puisque le maintien de cette installation fait persister cette illicéité. Le client est donc condamné à désinstaller sous astreinte les licences installées sans droits.